Depuis ce soir d’hiver où Pierre s’était enfin décidé à faire sa demande en mariage, Alice rayonnait.
Elle allait et venait , belle ,souriante et légère .Les travaux de la ferme lui paraissaient tout à coup moins pénibles. Elle savait qu’une nouvelle vie l’attendait , là tout près, bientôt …Même les reproches incessants de son père semblaient ne plus l’atteindre .
Son coeur chantait , rêvait , dansait lui faisant oublier toute la laideur de cette maison où elle avait vécu de tristes jours .
Sa mère était morte peu de temps après sa naissance. Il lui fallut donc grandir au côté d’un père rustre , grandir sans affection où les jours s’écoulaient sans surprise , sans amour et sans joie rythmés seulement par les travaux qu’imposaient les saisons .
Pour échapper au vide de son existence , elle se réfugiait dans les livres chaque fois qu’elle le pouvait , à l’insue de son père .
Là , les mots sur le papier l’emportaient vers des contrées lointaines . Elle troquait pour quelques heures sa misérable vie contre celle de ses héroïnes préférées dont les destins tourmentés la faisait pourtant rêver. La lecture lui permettait de voyager , de laisser libre cours à son imagination.
Elle choisissait un coin de nature où déjà petite fille , elle allait exorciser tous ses chagrins.
Son petit havre de paix , peu de personnes le connaissait .
Le sentier abrupte et empierré decourageait bien des promeneurs
Alice , elle , aimait s’y engager . Elle savait que tout au bout , elle rejoindrait le point culminant où le paysage s’offrirait à elle dans toute sa splendeur .
En effet , l’horizon s’étendait à perte de vue où fières , trônaient les montagnes de son enfance .
Là , le silence l’ennivrait , ses pensées s’envolaient et nul n’aurait pu dire où elles l’emmenaient .
Une douce quiétude l’envahissait alors .
Emportée par ses rêves ,elle était loin d’imaginer la vie tumultueuse qui l’attendait …
Le mariage serait célébré en octobre.
Alice aurait préféré s’unir à son bien aimé sous le soleil printanier .
Elle aimait cette saison où la nature reprenait vie après de longs mois de silence.
Elle pouvait rester des heures à écouter le gazouillis des oiseaux , le chant de la rivière et la brise légère caressant ses cheveux.
Les bourgeons en fleurs , l’éclosion des premières fleurs ,la danse des nuages, tout cela l’émerveillait .
Mais le père avait décidé .
Le père décidait toujours tout !
Que lui importait ce genre de détails si futiles à ses yeux.
Tout se pensait, se décidait par rapport au travail.
En cette période , le foin serait bien rangé en grange , les moissons terminées , la terre laissée aux caprices du vent et de la pluie.
Pierre , quand à lui , partageait le choix de son futur beau-père,non par soumission, simplement parce que le monde de la terre était aussi son monde.
C’était un jeune homme robuste , travailleur ; ses mains calleuses en témoignaient.Son allure en imposait. Tous le respectait plus par crainte que par réelle sympathie .Nul dans la région n’était sans ignorer son tempérament impulsif et parfois brutal . Aussi , se gardait-on bien de le contrarier…
Il avait rencontré Alice lors du bal du village donné à l’occasion de la naissance du premier né du maire.Une grande fête avait alors été organisé et tous les villageois conviés à partager le bonheur de celui que tous nommait « Le Maitre ».
Les jeunes gens , pour la plupart, se réjouissaient de l’évènement.Il y avait si peu d’occasions de pouvoir s’amuser.
Les jours précédents la fête , les jeunes filles s’affairaient à confectionner une robe digne de ce nom , à dénicher un ruban qui viendrait se nouer dans leur chevelure soigneusement coiffée .
Un bal!Il fallait être belle !
Un bal!C’était fuir pour quelques jours la dure réalité de ce qu’était leur vie …une vie de labeur .
Cette euphorie n’atteignait pas Alice.Elle n’aimait pas ce genre de soirée où beaucoup buvaient plus que de raison , où les filles étaient les proies des garçons en chasse .
Mais refuser de s’y rendre eut été un affront.
Alice le savait.